Trekking en Mauritanie
En Mars 2005, il y a bientôt 13 ans, je suis allée faire un Trek en Mauritanie, dans le désert de l’Adrar, avec l’organisme Nomade Aventure. Une expérience inoubliable dont j’ai rapporté (entre autre) un carnet de voyage. J’aimerais aujourd’hui vous le partager à travers ce blog et vous emmener un peu avec moi. là-bas..
1er jour – Désert !
Couleurs ocre jaune, les dunes se découpent telles des courbes sensuelles. L’air est chaud, sec, splendide… Nous arrivons la nuit, après avoir roulé plus de quatre heures dans le sable, en 4×4.
Désert! Plus rien à l’horizon que cet espace infini et éblouissant. Nous installons le campement. Le feu, au milieu, crache ses lames rougeoyantes et dans la douceur du soir les voix de nos guides surgissent. Une langue nomade, amicale, chaleureuse.
Les uns, retirés, préparent le repas, pendant que d’autres s’affairent dans l’installation des matelas et de leur couche pour la nuit. Il fait doux, il fait bon d’être là, distinguer la dune devant, derrière, tout autour.
Le sable est fin, doux orangé, brûlé, tel de l’encens. Je ne parviens pas à décrire l’émotion qui m’envahit, tout à coup, d’être là, depuis tous ces rêves… tous ces rêves d’enfant… Voilà. J’y suis. Enfin! Quelques rencontres de voyages, très sympathiques, m’accompagnent.
Je ne suis pas seule et néanmoins plus que jamais.
2e jour – Se perdre…
Levée tôt, je ne sais pas quelle heure. Nuit courte, entrecoupée. Les étoiles dans le ciel, partout, telle une nuée. Un tapis de constellations étourdissant, vertigineux. Ébouriffée. Perdue. Où suis-je? Comment dormir sous cette voûte, sous un paysage aussi magnifique? Le soleil pointe juste à l’horizon alors que nous marchons déjà en direction des dunes, laissant derrière nous nos porteurs et le feu encore crépitant. Nos pas s’enfoncent dans le sable qui glisse. Lentement, les couleurs du désert apparaissent dans l’aube matinale. Le vent a dessiné sur le sol des vagues parfaitement régulières. Le groupe avance, et moi avec, inconsciemment.
Je me perds, petit à petit, pas à pas.
A l’approche du zénith, la chaleur se fait sentir. On avoisine les 35°C. Il doit être autour de midi… Je ne sais pas. Plus de notion de temps. A nos questions incessantes sur le temps qu’il nous reste à marcher ou bien sur la distance encore à parcourir, notre guide répond à chaque fois toujours aussi calmement “Un jeté de bâton!”.
Nous nous reposons, épars sous des acacias. Pas un bruit. Seul le souffle du vent au dessus de nos têtes… Je me suis trouvée une place à l’ombre, pour écrire, lire un peu, dormir, laisser le soleil tomber tout doucement vers la fin de la journée…
La température plus supportable, nous reprenons notre marche jusqu’au prochain bivouac. Le paysage est vraiment magnifique. Nuances de couleurs, variations de tons. Nous traversons les dunes blanches de l’Amatlich, puis un sol rocailleux fait de pierres sombres semblables à un cimetière de lave.
De là où je suis, j’observe les chameaux manger les quelques branches qui se trouvent à leur portée. Ils sont calmes, filiformes, gracieux presque.
Ce silence… Je m’endors paisiblement…
Des voix me tirent de mon sommeil. Des gens discutent, échangent leurs impressions. Je passe ma main dans mes cheveux, déjà hirsutes et secs comme de la paille. J’abandonne très vite l’idée de les coiffer. La chaleur est partout, tout comme le sable qui s’insinue jusque dans les oreilles. Rien à faire. Il ne faut rien faire. Lâcher prise sur tout ça, à commencer par le temps. Le soleil et les étoiles sont nos seuls guides, ou presque. Lâcher prise sur les commodités de la vie occidentales, celles que nous connaissons. Il faut s’adapter et réapprendre. On se contente d’une hygiène de base, et ravalons notre fierté lorsqu’il s’agit d’aller faire nos besoins derrière les dunes, dans le sable. Ma fierté, je l’ai laissée sur le pas de ma porte, à Paris, avec tout le reste.
Ici, je deviens nomade… Libre.
J’ai pris quelques clichés, mais je ne sais pas si cela a bien marché, avec tout ce sable qui vole et la chaleur, ce sera la surprise en rentrant. Et puis, finalement, ce retour, je n’y pense pas. J’ai du mal à croire que je sois là, et pourtant je ne pense à rien d’autre. C’est un pays tel que je l’imaginais, simple, beau, simple encore… Quel bonheur de pouvoir toucher du doigt ce rêve maintes et maintes fois caressé.
La musique du Patient anglais me berce. Il n’y a pas de meilleur endroit pour l’apprécier. Jamais, Ô combien jamais je n’aurais imaginé cela… Même les mots, même les mots ne parviennent à décrire tout ce qui s’offre à moi.
Je retrouve le calme, la paix de l’esprit après la tempête, et cela fait un bien fou !
Un bonheur que je ne saurais décrire tellement il est fort, tellement tout cela me représente… Solitude, émerveillement, éclat de vie. Et moi, je suis là, aujourd’hui, si petite dans cette immensité. Je suis là, parmi ces sourires africains, heureuse, fière… fière de moi, de ce que je suis, de ce que je rêve d’être et que je serai.
Nous avons posé notre campement parmi les dunes, là, au beau milieu de nulle part. Perdus en plein désert où le sable est si fin qu’il en devient insaisissable entre les doigts, les orteils, léger, doux et frais. A la tombée de la nuit, j’apprends la préparation du thé avec Ahmedou. Puis nous aidons en cuisine, épluchons quelques légumes, carottes, navets, pommes de terre, oignons… Ajoutons du riz.
Voilà. C’est prêt.
L’ambiance est très bonne. Les journées sont faites d’une successions de moments simples, de rituels, de choses que nous avons tellement l’habitude de faire que nous en avons oublié le sens profond. Cuisiner en conscience, avec si peu de choses, nos mains, notre cœur, nos voix. Nous nous regroupons pour discuter autour du feu. Le courant passe bien. La lune est presque pleine, elle veille sur nous. Ahmedou prépare le pain pour le petit déjeuner du lendemain. Le travail de cuisson est long. La pâte, enfouie sous le sable, cuit avec les braises, tout doucement.
“Il faut prendre le temps” nous dit Ahmedou. Mais je vois bien que je ne suis pas la seule à être impatiente. Demain matin, nous dégusterons cette miche à la mie tendre et savoureuse. Pour l’heure, nous rigolons de quelques blagues pendant la cuisson, puis vient le moment de découvrir le pain. Ahmedou retire les braises et nous le fait sentir avant de nous en couper une tranche. Un régal! La nuit s’achève sous les étoiles et une lune bien pleine.
3e jour – Vastitude…
A l’aube, chacun sort du sommeil tranquillement, s’affaire en silence, et reprend la marche. Il fait doux, à peu près 24°C. Nous avançons dans la pénombre encore. Le soleil se réveille à mesure que nous progressons. Tout est vallonné, courbes douces, rondes ou allongées, plus prononcées ici ou là. L’atmosphère est paisible. Que c’est bon, cette vastitude, ce silence de la terre…
Puis, très rapidement, la chaleur s’installe. Une chaleur sèche qui pèse avec l’effort. Nos sacs sont lourds. Il fait environs 40°C à l’ombre.
Nous nous reposons à la coopérative, dans une hutte. On nous accueille avec la cérémonie des trois thés, et des femmes viennent vendre leurs produits, bijoux, tasses, étoffes… J’ai fais l’acquisition d’un petit collier, une boîte pour y mettre du sable et une dague à tabac. Quelques souvenirs, en somme, pas grand chose, et pourtant tellement à mes yeux…
Nous parvenons au campement en fin d’après-midi. Il fait encore bien chaud. Chacun choisi un endroit stratégique pour bivouaquer.
La nuit tombe vite, sans que nous nous y attendions, trop occupés à découvrir les us et coutumes de nos guides. Nous nous asseyons autour des nattes, sur des matelas, pour manger. Au menu ce soir, une bonne soupe de légumes, vermicelles, et du chevreau garni de semoule. La viande a été cuite au feu, dans le sable. Le cuisinier, Bâ, nous prépare à chaque fois quelques spécialités de son pays.
4e jour – Oasis!
Au matin, nous levons le camp en prenant soin de ne rien laisser derrière nous. La marche reprend, sur les dunes.
Nos ombres s’allongent avec les rayons du soleil. Une lumière encore basse, encore inoffensive. Le groupe avance lentement, chacun marchant dans les pas de l’autre. Enfin, un peu avant midi, nous atteignons l’oasis tant espérée. A présent, blottis sous la roche de la palmeraie, nous savourons la douceur de l’ombre et la fraîcheur de l’eau sur nos visages, asséchés par le soleil.
Des marchands ambulants, de nouveau, s’installent à nos côtés, nous font signe de leur présence. Cela se fait presque naturellement ici. Ce qui est étonnant, c’est de les trouver derrière une dune, là où nous pensions être seuls de passage. Où logent-ils ? Comment font-ils pour marcher autant dans ce paysage aride avec des enfants, des sacs sur leur dos, de la vaisselle, des bijoux? Ils sont là depuis si longtemps, et nous, pauvres prétentieux que nous sommes, petits parisiens en quête d’aventure… On ouvre les yeux sur cette réalité.
A cette heure de la journée où le soleil est au zénith, ces femmes partagent leur thé avec nous, nous montrent leurs ouvrages : colliers, perles, théières. Tout semble naturel.
Riche comme je suis. Dans mon pays, la source vient à ma bouche sans que j’ai d’effort à faire pour cela. Elle jaillit.
Riches que nous sommes…
Nous campons ce soir dans un oued, vaste plateau où l’eau de pluie – lorsqu’elle daigne tomber – se déverse en période de crue. L’air est chaud. La nuit est difficile, inconfortable. Des bêtes viennent nous chatouiller les oreilles, j’essai de ne pas y penser. Il fait trop chaud pour dormir.
5e jour – La Vallée blanche
Au matin, nous partons en direction de la vallée blanche. Là encore, la marche est difficile. La chaleur nous assomme. Je regarde sur ma gauche, les chameliers nous dépassent. Ils ont l’habitude, marchent d’un pas léger, presque en lévitation sur le sable, vêtus de leur grandes robes bleues et chaussés de simples sandales, alors que nous nous traînons dans nos grosses chaussures. Le sac pèse sur nos épaules, et mon dos me fait mal. J’ai l’impression que mes chevilles sont attachées à une chaîne qui me tire constamment en arrière. Je m’enfonce dans le sable, comme si je pesais une tonne.
Puis, tout à coup, je me rappelle ce rêve, que je fais souvent. Ce rêve où je cours mais où je n’avance pas. La même sensation brûle mes pas aujourd’hui. Le sable ralenti ma progression et je dois redoubler d’efforts. Au moment de la pause, nous sommes sous une nuée d’acacias.
Ha ! La pause repas, la pause sieste tant attendue…
Chaque jour, nous progressons d’une quinzaine de kilomètres dans l’Adrar, à travers dunes et rochers, sous un soleil de plus en plus brûlant.
Les 70 km sont long et laborieux, mais riches… plus riches que nous ne le serons jamais.
6e jour – Apprendre sur soi
Dernier jour de marche dans les dunes. Après une nuit mouvementée par le vent, une mini tempête balayant notre bivouac d’une lame de sable, nous nous levons dans la brume. Les esprits eux aussi sont embrumés. Nous ne savons plus trop où nous sommes. Il est l’heure, pourtant, de rejoindre le plateau de roches. Au loin, là-bas, les couleurs s’entremêlent d’ocre, de terre de sienne, d’ambre et de blanc éblouissant. Nous traversons un petit village où les enfants courent jusqu’à nous, nous attrapent par le bas du pantalon, nous prennent la main…
Je regarde l’horizon, où se découpent des arbres, écrasés par le soleil.
L’air est brûlant aujourd’hui, sec. Il fait plus de 45°C à l’ombre et l’eau est une denrée rare, beaucoup trop rare. Je couvre ma tête du mieux que je le peux, mais même le chèche me semble lourd. Tête baissée, je me concentre sur mes pas, sur ces pierres qui jonchent le sol et entravent ma progression.
Ces jours-ci, nous ne parlons plus. Chacun prend sur soi, apprend sur soi.
De chaque côté, les montagnes nous encerclent. Nous sommes comme pris au piège au centre de cet enfer. Ce n’est ni du sable, ni de la terre, mais un ensemble infernal qui nous ralenti. Puis, de nouveau, au loin, les dunes, oranges, lumineuses, douces… C’est presque un réconfort.
Nous passons notre dernier bivouac là-haut, où la vue sur le canyon est magnifique. La soirée est ouverte aux rires, aux jeux, aux contes, à la musique et à la danse. Nous chantons sur des rythmes africains. Tout le monde rit, tape dans ses mains, l’humeur est joyeuse et triste à la fois. Nous savons que c’est notre dernière nuit dans ce lieu unique.
Je m’endors, au son de la voix d’Ahmedou, allongée sur le sable, les étoiles et la pleine lune comme veilleuse.
Le feu crépite, l’air s’est adouci, tout va bien. Je n’ai jamais été aussi bien, aussi sereine qu’en plein désert, où j’ai appris la patience, l’humilité, le goût des choses simples : rire, partager des moments de vie, être là, être vivante et heureuse, finalement…
7e et dernier jour – Richesses
Le retour est difficile. Quitter cette terre aride où j’ai laissé une part de moi, un peu de ma vie passée. Les soucis, les angoisses, les a priori… j’ai laissé tout cela ici. Quelque part, au loin, tout là-bas, au fond des dunes, j’ai creusé un trou et laissé une part de moi-même.
Puis j’ai écris sur cette tombe de sable mon prénom, pour qu’elle se souvienne, un peu, pas trop longtemps, jusqu’à ce que le vent vienne tout balayer.
Crédits photos, texte et illustrations : Sabrina Lucas